La junte militaire qui a pris le pouvoir en Thaïlande en 2014 est aujourd’hui malmenée par des résultats macroéconomiques en deçà de ses espérances. En parallèle, la colère populaire gronde chez un de leurs principaux soutiens : les producteurs de caoutchouc.
Coup de tonnerre dans le ciel de Bangkok le 22 mai 2014. Les militaires sortent de leurs casernes et le sémillant général Prayuth Chan-ocha âgé de 61 ans prend la tête du pays avec la bénédiction incertaine du vieillissant roi Bhumibol Adulyadej. Le nouveau pouvoir se montre inflexible et n’autorise pas la moindre critique dans un pays aux divisions largement ancrées. Parmi les soutiens de militaires habitués à prendre le pouvoir (le dernier coup d’Etat remontait à 2006), les producteurs de caoutchouc pèsent un poids important. Principalement situés dans les provinces du sud du pays, ces producteurs traversent cependant une grave crise qui pourrait amener à un affaiblissement du pouvoir militaire.
La Thaïlande est le principal exportateur de caoutchouc naturel avec environ un tiers de la production mondiale qui y est réalisée. Cette richesse se transforme en faiblesse dès lors que les prix de cette matière première plonge comme jamais ou presque. Aujourd’hui, le kilo se négocie aux environ de 80 centimes de dollar. Une catastrophe pour les agriculteurs qui appellent le gouvernement thaïlandais à acheter leur production au double du prix des cours mondiaux. Ce soutien est attendu d’autant plus que les producteurs se sont toujours montrés plutôt bienveillants à l’égard des militaires, mais le renvoi d’ascenseur n’est semble-t-il pas prévu, ceci pour deux raisons.
Une économie en souffrance
En prenant le pouvoir par la force en mai 2014, les militaires ont écarté le gouvernement civil de Yingluck Shinawatra dont le procès vient de s’ouvrir pour corruption supposée dans le domaine de la riziculture et du caoutchouc. La production était subventionnée pour faire face à la chute des prix. Aujourd’hui, cette politique semble être dépassée tant les finances de l’Etat sont à sec. Aider les producteurs reviendraient à attaquer les fondements mêmes du procès très politique de l’ancienne ministre Shinawatra et à infliger un coup de plus aux finances d’une économie en plein désarroi. La croissance est en panne avec 2,5 % dans une région plus habituée à des 5 % ou 6 % de moyenne et l’annonce de la chute spectaculaire (-78 %) des investissements directs étrangers (IDE), véritable passeport de l’attractivité d’un pays, illustre un déficit d’idée qui n’inspire guère confiance aux investisseurs étrangers.
Le budget de l’Etat se réduit et la seule proposition de l’armée est d’inciter les ministères à utiliser et acheter plus de caoutchouc à un prix légèrement supérieur à celui du marché. Une proposition insuffisante qui fait monter la tension dans un pays où le règne du plus fort prime généralement sur la loi (civile). L’annonce de la réduction de la production de riz pour des raisons là aussi économiques (l’Etat ne peut plus financer les aides publiques dans le secteur) alimente un mécontentement paysan qui pourrait bien avoir raison d’une junte déjà obligée de prendre des mesures drastiques contre l’opposition et la presse pour maintenir un pouvoir décidément très peu enviable en Thaïlande.