La Communauté de l’Asean vient de se constituer autour de trois piliers – économique, politique et culturel – sur un modèle d’intégration proche de celui de l’Union européenne. Une façon de rebattre les cartes en Asie et de concurrencer la Chine, qui occulte souvent les marchés pourtant très porteurs des États de l’Asie du Sud-Est.
Lancement de la nouvelle Communauté de l’Asean
Le 22 novembre dernier était signée à Kuala Lumpur la déclaration entérinant la création d’une « Communauté de l’Asean » par dix chefs d’État et de gouvernement d’Asie du Sud-Est : Brunei, Singapour, Malaisie, Indonésie, Thaïlande, Philippines, Vietnam, Birmanie, Laos et Cambodge. Les chefs d’État réunis n’ont pas voulu manquer l’échéance de 2015 qu’ils s’étaient fixée il y a sept ans pour créer ce nouveau bloc économique, politique et culturel, sur le modèle de l’Union européenne.
Son but : « assurer la paix durable, la sécurité et la résistance d’une région ouverte sur le monde, dont les économies sont dynamiques, compétitives et fortement intégrées au sein d’une communauté inclusive, fondée sur un sens aigu du vivre ensemble et une identité commune ». L’Asean représente aujourd’hui un immense marché de près de 600 millions d’habitants, souvent éclipsé par ses voisins chinois et indiens. Favoriser les échanges entre les Etats et promouvoir le développement commun, créer un environnement pro business, attirer les investisseurs étrangers, mais aussi concurrencer la Chine et accroître leur visibilité sur la scène internationale… Autant de motivations qui ont poussé ces dix États à se réunir.
Le pilier économique : pierre angulaire du système
Officiellement, la Communauté de l’Asean a été mise en place à partir du 31 décembre 2015. Elle repose dorénavant sur trois piliers. Le pilier économique, « Communauté économique de l’Asean », le plus abouti, fait figure de pierre angulaire du système. Inspiré du modèle de l’Union européenne, il instaure la libre circulation des biens, des services et de la main d’œuvre qualifiée, ainsi que la libéralisation des flux de capitaux. La Communauté n’en est pas au stade de l’union douanière (avec l’imposition de tarifs communs aux frontières) et manque d’une politique commerciale extérieure commune.
Cette intégration économique prévoit cependant des réseaux ferrés et aériens mieux interconnectés, pour faciliter le transfert de marchandises entre États membres. On est donc loin d’une simple zone de libre-échange, sans atteindre pour autant le degré d’intégration de l’Union européenne. Pour Vivian Balakrishnan, ministre des Affaires étrangères de Singapour, ce bloc économique d’Asie du Sud-Est « contribuera significativement à la croissance régionale et créera des opportunités de développement pour tous ».
Indonésie, Malaisie : quelle locomotive pour l’Asean ?
Dans cette nouvelle architecture régionale, certains pays vont être amenés à jouer un nouveau rôle. L’Indonésie, premier économie de la zone, représente à elle seule 40 % de la population et du PIB de l’Asean. Mais le pays devra d’abord abandonner ses tentations protectionnistes, de plus en plus présentes depuis Joko Widodo. L’Indonésie est aussi attendue sur son problème de pollution et de déforestation. Les méthodes employées dans les monocultures (d’huile de palme notamment) sont à l’origine de feux de forêt dont les fumées toxiques atteignent ses voisins malaisien et singapourien.
En parallèle, la Malaisie est devenue un nouveau « gros joueur » de la zone grâce à sa diversification économique et à son record d’exportation (+ 4 % par an entre 2010 et 2014) qui la place devant la Thaïlande, l’Indonésie et les Philippines. Le Premier ministre Najib Razak a amorcé un tournant depuis 2010 pour sortir de l’économie de rente pétrolière et se positionner sur les produits à haute valeur ajoutée comme l’électronique. C’est ce qui lui a permis de créer 1,8 million d’emplois et d’avoir un taux de chômage moitié moindre que celui de l’Indonésie. Une nouvelle fiscalité incitative et sa position géographique, en plein centre de l’Asean, lui permettront d’être au cœur des investissements de la zone.
Piliers politique et culturel : simples artefacts ?
Le volet économique est complété par deux autres piliers, « Communauté politique et de sécurité de l’Asean » (APSC) et « Communauté socioculturelle de l’Asean » (ASCC) qui semblent davantage relever de l’engagement cosmétique que d’une véritable volonté de politique commune dans ces domaines. Et pour cause, se départir de l’« Asean Way » – consensus de tous les États membres, refus d’une délégation de souveraineté à l’échelon supranational, secrétariat général fantoche – est encore inconcevable. Le calendrier prévisionnel « Vision 2025 » prend d’ailleurs en compte la lente mise en place de cette régionalisation politique et culturelle.
Les chiffres sont alléchants. Selon les estimations de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la Banque Asiatique de Développement (BAD), la Communauté économique de l’Asean pourrait générer 14 millions d’emplois d’ici 2025. Nul doute que le succès du pilier économique aura un effet d’entrainement sur les deux piliers annexes de l’Asean. Un succès qui n’est possible que si les Etats pivots de la région – Indonésie et Malaisie en tête – acceptent de jouer leur rôle de leaders jusqu’au bout.