Prévue pour janvier 2017, la privatisation des radars embarqués suscite le mécontentement des automobilistes, qui redoutent une course au chiffre des sociétés privées chargées d’effectuer les contrôles. Les syndicats de police sont également opposés à ce projet, qui menace de faire passer la prévention routière au second plan.
Après avoir déjà sous-traité l’exploitation de ses fourrières, de ses péages d’autoroutes et des radars fixes, l’État français s’apprête à faire de même avec ses radars embarqués, a annoncé Manuel Valls en octobre dernier. Parmi les 22 nouvelles mesures du gouvernement pour la sécurité routière, celle de confier leur gestion à des opérateurs privés à partir de janvier 2017, après une expérimentation dès la fin août, n’a pas fini d’exaspérer l’immense majorité des automobilistes français. D’après un sondage de l’association 40 millions d’automobilistes, 83 % des Français seraient défavorables à la privatisation des radars embarqués. Et pour cause : d’après un communiqué de l’association, « les radars embarqués ne peuvent être gérés par des organismes privés dont le seul objectif serait la réalisation de bénéfices et non la sécurité routière. »
Installés depuis 2013 dans des voitures banalisées, les radars embarqués mesurent la vitesse des véhicules qu’ils dépassent et qu’ils croisent. Fonctionnant sans flash mais à l’aide d’une simple photographie en cas d’excès, la voiture nécessite la présence de deux agents en uniforme : un conducteur et un passager, qui surveille la vitesse maximale autorisée. Aux 319 voitures déjà équipées de radars mobiles nouvelle génération, le gouvernement prévoit d’en ajouter 121 en plus d’ici 2018, soit 440 radars embarqués pour 4700 automatisés d’ici deux ans. En 2015, ils ont été responsables d’1,5 million de flashs, contre 13,31 millions pour les automatiques.
Un business juteux pour l’État
Pour l’État français, l’objectif est évident : augmenter le nombre de procès-verbaux en rentabilisant l’utilisation des coûteuses voitures radars (70 000 euros enciron). D’une heure treize minutes par jour en moyenne actuellement, elles devraient rouler trois à quatre fois plus dans les mains des sociétés privées, d’après Emmanuel Barbe, délégué interministériel à la sécurité routière. Bien qu’il affirme que ces sous-traitants seront payés au forfait et non au nombre d’infractions, les craintes de voir ces voitures se concentrer non pas sur les zones à risques, mais sur celles qui rapportent, sont partagées par les automobilistes et les forces de l’ordre. « Ce système supprimerait le rôle essentiel de dissuasion et de répression de la police dans le plan de sécurité routière », souligne Nicolas Comte, secrétaire général adjoint l’Unité SGP Police – FO.
Le marché des contrôles de vitesse est en effet une mine d’or pour l’État, loin de l’avoir exploité à son maximum. Les PV pour excès de vitesse payés dans les 30 jours rapportent 650 millions d’euros par an aux caisses publiques, auxquels s’ajoutent plus de 2 milliards d’euros d’amendes majorées. Une véritable pompe à fric, donc, qu’un nouveau système à l’étude pourrait rendre encore plus rentable. Testé prochainement dans une région gardée secrète et étendu en janvier dans toute la France dès qu’il sera opérationnel, il vise à se passer de l’agent passager grâce à une détection automatique de la limite de vitesse. Dans ce contexte, l’objectif gouvernemental de moins de 2000 morts sur les routes d’ici 2020 semble clairement relégué au second plan.
La répression, plus lucrative que la prévention
Accusé d’abandonner des fonctions régaliennes du service public au profit de sociétés privées, Emmanuel Barbe rétorque que la verbalisation d’un excès de vitesse par un agent non-assermenté conservera sa valeur légale car seul le conducteur du véhicule sera « privatisé » dans le cas où deux agents font équipe. Les voitures resteront propriété de l’État, l’objectif étant de sortir un maximum de policiers et de gendarmes, surqualifiés pour cette mission, afin de les affecter ailleurs.
Et la prévention dans tout ça ? Si le nombre de tués sur les routes a chuté de moitié depuis l’apparition des premiers radars fixes en 2003, leur impact reste relatif puisque la baisse de mortalité est constante depuis 1972 et le pic de 18 034 décès enregistré en France cette année-là. Les radars fixes et mobiles contribuent certes à rendre les routes plus sûres, mais la vitesse n’est responsable que d’un quart des accidents mortels, rappelle la Sécurité routière. En 2015, la mortalité routière est même repartie à la hausse (104 tués de plus qu’en 2014) alors que le nombre de contraventions est lui aussi en augmentation (+ 750 000). Preuve que contrairement à la répression lucrative, la prévention n’a pas de prix.