Clap de fin pour le journal papier Ebdo. L’hebdomadaire qui avait fait le pari du contenu et de l’absence de pubs n’aura duré que trois mois. Relançant le débat sur l’avenir du journalisme.
La tradition est désormais ancrée. Chaque année, lors des Assises annuelles du journalisme organisées par Jérôme Bouvier, un état des lieux social de la profession est dressé. Co-réalisé par l’Observatoire des métiers de l’audiovisuel, le groupe de protection sociale Audiens et plusieurs syndicats, le Baromètre social de la profession prend une photographie plutôt réaliste de la réalité sociale du journalisme.
Cette année, le bilan a quelque chose d’encore plus sombre que précédemment. Car les métiers du journalisme, loin de s’en sortir, s’enfoncent progressivement et durablement dans la crise. Plus précaires, moins bien payés, les professionnels de l’information sont dans une situation difficiles à tenir. L’affaire Presstalis n’arrange pas les choses.
Carrières courtes et précaires
Le Baromètre social du journalisme fait fi les longs discours. En 11 ans, la presse écrite a perdu 28% de ses effectifs. La proportion de pigistes et de chômeurs a elle augmenté de 4% : mais cela on ne prend ni en compte les auto entrepreneurs, ni les intermittents du spectacle, deux manières habiles de contourner les impératifs légaux. En réalité, la proportion de précaires serait encore plus importante. Parallèlement, les nouvelles cartes de presse (et donc de journalistes) se réduisent, avec une lenteur consommée : 35 047 cartes de presse ont été attribuées en 2017 contre 37 307 en 2009 soit une diminution de 6%.
Seul aspect positif du tableau, la féminisation de la profession est en hausse avec près de 47% des cartes de presse accordées à des journalistes femme. Si tant est que la précarisation des emplois est une bonne nouvelle.
Ce nouveau baromètre n’apprend hélas rien de nouveau.
Le modèle économique du journalisme est en crise depuis plusieurs années. Tenus à bout de bras par les subventions publiques et par l’investissement de milliardaires (Bernard Arnault, Xavier Niel), la presse subsiste tant bien que mal.
Nombreuses sont les analyses tendant à l’expliquer, mais fondamentalement, la crise est davantage contextuelle que liée à une gestion plus ou moins heureuse d’un quotidien ou d’un magazine. Ou, comme le dit l’excellent Observatoire du Journalisme, “France Soir n’a pas résisté, et ni le premier Libération (celui de D’Astier de la Vigerie) ni le second (July première manière et la suite) en voie d’extinction assez remarquable, ne peuvent servir de contre exemple.” Pessimiste, le site spécialisé de conclure “Il faudrait visiter l’hôpital et le cimetière des quotidiens et autres journaux en soins palliatifs ou disparus au champ d’honneur ou du déshonneur de la bataille pour l’ « information » pour prendre la mesure du désastre.”
Bref, la presse se meurt lentement. Et les premières victimes viennent du papier.
Ebdo, Presstalis : entre pressions et pertes de revenus
L’exemple d’Ebdo, le magazine lancé par des anciens de l’Obs et de Libération, rappelle cruellement la difficulté du journalisme à survivre. Ce dernier a mis la clef sous la porte après quelques trois mois d’existence. Le média “sans publicités” s’est fait sanctionner pour son modèle économique bringuebalant et sa gestion singulière de l’affaire Hulot.
Mais il n’est pas le seul à souffrir. Les distributeurs, notamment indépendants, ont également dû faire face aux déboires de Presstalis. L’entreprise de distribution de journaux, en crise systémique depuis de nombreuses années, a récemment augmenté ses tarifs, ajoutant une pression peu supportable pour les magazines.
Pour certains, le syndicat du livre est le principal fautif. Il est vrai que par le passé, la délégation emmenée par des partisans de la ligne dure du CGT n’a pas toujours joué franc jeu. On peut citer notamment les “pressions” lors de la crise de 2012 à l’encontre des journaux, la non-diffusion de quotidiens, et autres manoeuvres d’intimidation. Entre la gestion opaque, les armes accumulées pour le Grand soir, les pressions sur les grands quotidiens, le SGCLE-CGT est loin d’être un modèle de syndicalisme vertueux. A lui seul, après tout, il a nourri un “livre noir”.
Pour autant, le syndicat du livre ne peut être le bouc-émissaire de tous les problèmes de Presstalis. En effet, les causes sont nombreuses, entre crise de la presse, concurrence inutile et utilisation abusive des intermittents (il est vrai pour compenser les mesures trop avantageuses des ouvriers du livre dans un secteur en crise). Les remèdes eux, se font plus rares, et la presse est prise à la gorge. Ebdo en a fait les frais.
Accompagner la transition
Le constat, funeste, peut-il être enrayé? Certains voient dans la crise de la presse une fatalité. D’autre, une opportunité. Répétée à l’envie, cette vision n’est-elle qu’un voeu pieu ? Pas totalement. Au niveau international, impossible de ne pas citer Heliograf, cette intelligence artificielle qui a publié plus de 850 articles factuels pour le compte du Washington Post, soulageant ainsi la rédaction pour des articles de fond.
Parallèlement, d’autres initiatives transnationales telles que le prix Next Journalism du CFJ (Centre de formation du Journalisme) et du Nieman Lab phosphorent sur les nouveaux formats que peuvent prendre la presse dans un contexte mouvement. Résultat: Hack the Radio, une start-up française promet de créer des playlists intuitifs de podcasts et donc de permettre aux auditeurs de se retrouver dans la jungle des contenus audiovisuels.
Audiens, le groupe de protection sociale des médias qui travaille également sur le baromètre, est également partenaire du prix. L’institut de prévoyance fait d’ailleurs parti des rares structures françaises, avec l’Observatoire du journalisme, à penser le futur de la profession, entre mise en place de couverture sociale pour les pigistes et réflexions sur l’intelligence artificielle. L’idée ? Mettre en place des mécanismes de transition, permettant aux journaux de s’adapter à la nouvelle donne sociale.
Enfin, au niveau de la distribution, la réforme de la loi Bichet, envisagée par le gouvernement depuis l’affaire Presstalis, pourrait effectivement changer la donne.
Davantage travailler sur le contenu et le contenant à l’ère du tout numérique, réformer les lois de distribution papier, mieux protéger les journalistes dans un contexte de crise… Autant de pistes sérieuses qui pourraient offrir un avenir plus radieux pour un secteur sinistré. Pour peu qu’il y ait l’espoir.
2 commentaires
S’ajoutent à ces pistes la préservation de l’indépendance des médias (cf. Julia Cagé) et du réseau y permettant l’accès (cf. AADP).
Quant à l’analyse des causes de la situation, il est souhaitable de prendre un peu plus de recul.
Au fil du temps le terme presse (et le ÇA du secteur) à intégré des produits complémentaires (distraction , publicité, datas) favorables à son économie. La redistribution des importantes marges (4 à 5 Mds €/an) générées n’a pas été équitable. Les dirigeants de la filière ont tout gardé sauf ce qu’ils ont été contraints de concéder aux ouvriers du livre. Aucun investissement n’a été fait pour préserver les autres acteurs et notamment le réseau de distribution. C’est pour cela que, dans des temps moins cléments ce réseau se meurt faute de rentabilité. La crise de 2007 et la concurrence du numérique n’ont été que les facteurs déclenchants. En sont issus la baisse des revenus publicitaires pour les dirigeants et le morcellement de la distribution par multiplication des canaux exploités. La concurrence à également favorisé la baisse irraisonnée des prix conduisant à la dévalorisation du produit.
La Loi Bichet, tant décriée par les dirigeants de la filière, a été contournée via le numérique, préservant des intérêts privés immédiats au détriment de la défense de l’intérêt public et collectif.
Le politique à trop tardé à prendre la mesure du sujet. Chacun pourra en définir les raisons mais elles sont de toute évidence indépendantes des clivages politiques. C’est une question constitutionnelle.
Merci pour cette réponse étoffée et complète !