Pour sortir de la crise agricole, le gouvernement mise sur le développement du bio. Une stratégie qui ne prend pas en compte les problèmes de rendements inhérents à ce type d’agriculture.
Le modèle agricole français est « totalement dépassé », reconnaissait en janvier Christophe Castaner, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement. Cela fait pourtant de longues années que les agriculteurs le savent. En 2016, 20 % d’entre eux n’ont pas pu se verser un salaire et 30 % avaient un revenu mensuel de moins de 350 euros, selon la MSA. La déclaration de M. Castaner n’était donc pas de nature à surprendre. Mais une fois ces bases posées, quelle sortie de crise ? Celle-ci a commencé à s’esquisser l’an dernier, avec les controversés Etats généraux de l’alimentaire, malgré le succès relatif de ces derniers. Le 25 février dernier, Nicolas Hulot a également annoncé qu’un plan pour le développement de l’agriculture biologique était « en préparation ».
“Vague verte”
Il est indéniable que l’agriculture biologique (AB) a le vent en poupe. « L’AB est progressivement sortie des cercles de militants et d’initiés. Initialement marché de niche, elle devient un secteur économique à part entière. » confirmait déjà le Conseil national de l’alimentation en 2015. Résultat, en 2017, le nombre de producteurs a augmenté de 13,6 % et les surfaces de 15 %. La vente de produits a quant à elle atteint 8 milliards d’euros, soit un milliard de plus qu’en 2016.
Cependant, avec seulement 6,5 % des surfaces agricoles dédiées au bio en France, la production ne pourra que très difficilement suivre la demande. « Il faut environ 4 000 m2 pour nourrir un Français. Si l’on passait au bio sans changer d’alimentation, il faudrait 1 000 m2 en plus. Soit 6,7 millions d’hectares cultivables supplémentaires que l’on n’a pas » explique Philippe Pointereau, auteur d’une étude prospective sur le bio. La solution? Changer radicalement son mode d’alimentation. Il faut “que les Français acceptent de changer leurs habitudes alimentaires, précise Philippe Pointereau. Notamment en diminuant la part de viande et de produits laitiers, productions animales qui occupent beaucoup de surface. Et en augmentant celle des céréales et fruits et légumes. »
Hélas, le voeu semble pieu. Et pour certains, impossible à tenir. Mais qu’importe, la machine est lancée et le bio aiguise désormais les appétits des grandes surfaces. Alors que Carrefour souhaite multiplier par 4 son chiffre d’affaires dans le bio, Leclerc vise l’ouverture de 200 magasins bio d’ici 2020. Ceux qui pensaient que la production bio était une alternative à l’agriculture industrielle en seront pour leurs frais. Elle n’est plus du tout une niche réservée aux marchés paysans et aux boutiques spécialisées. Coopérative et engagée en faveur du commerce équitable, la société Biocoop ne pèse pas moins d’1 milliard d’euros.
Faible rendement
Sur le plan strictement économique, l’AB pose de nombreux problèmes non résolus, notamment pour les agriculteurs. Il faut en effet compter techniquement deux à trois ans pour passer à cette méthode de production. Et c’est même plus pour s’en sortir économiquement : 5 à 10 ans selon la Fédération nationale de l’agriculture biologique. Non seulement cela oblige les grandes surfaces à importer du bio (jusqu’à 30 % actuellement), mais cela représente surtout une menace pour le consommateur, déjà confronté au risque de sous-production qu’entraîne le changement climatique. « L’analyse montre que l’AB souffre d’un handicap de productivité physique (moindres performances agronomiques et zootechniques.) » avertissait déjà l’Inra en 2013. Si depuis, l’Institut a bien confirmé la rentabilité de l’AB, elle ne démord pas et confirme ses faibles niveaux de production.
L’agriculture française souffre par ailleurs d’un inquiétant déficit de compétitivité, lié à la faible rentabilité des exploitations. Or, le bio implique de renoncer à de nombreux outils pouvant améliorer la rentabilité, notamment le glyphosate.
Il est vrai que la réputation de l’herbicide est aussi sulfureuse que celle de l’agriculture biologique est prestigieuse. Pourtant, comme le souligne l’auteur Guy-André Pelouze, toutes les études ont écarté le risque cancérogène du glyphosate, mais nous ne voulons pas y croire.
Une solution pas toujours pérenne
En partie, bien sûr, parce que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) l’a classé en 2015 « cancérogène probable » pour l’homme. Mais de nombreuses agences internationales, dont l’EFSA, l’ECHA ou encore la JMPR ont rendu des avis opposés à celui du CIRC, comme le rappelle Hervé Le Bars. L’AHS, une vaste étude de suivi de population agricole, montre pour sa part qu’aucune association statistiquement significative entre l’utilisation du glyphosate et le cancer ne peut être établie. Cette étude contraste avec celles menées par le CIRC, qui portent principalement sur des souris et des rats. Or, comme le rappelle Guy-André Pelouze, “les essais sur les animaux n’ont qu’une valeur limitée dans la détermination de la cancérogénicité ».
En troquant le glyphosate et les produits sanitaires contre ceux, mieux médiatisée, en provenance de l’agriculture biologique, la France ne ferait que réduire davantage les rendements des cultures, augmenter les coûts de production et faire flamber les prix pour le consommateur. A cela s’ajoute la distorsion de concurrence sur les produits issus des nombreux pays où l’herbicide reste autorisé.
Ce qui pose la question : le plan de sortie du gouvernement, pour aussi populaire qu’il soit, est-il économique réaliste ?