Alors que AG2R La Mondiale, en passe de se rapprocher de la Matmut, et Axa ont annoncé des résultats « historiques », retour sur deux conceptions opposées de la protection sociale à la française. Celle d’André Renaudin, mutualiste et paritaire, et celle de Claude Bébéar centrée sur la recherche du profit.
La protection sociale, un monde uniforme ? Loin de là. Le secteur se divise en réalité entre deux modèles : d’un côté, les groupes de protection sociale, paritaires et souvent mutualistes, comme AG2R La Mondiale ; de l’autre, des entités à visée plus « capitaliste », dont le meilleur exemple en France reste sans conteste Axa. Deux visions opposées de la protection sociale à la française, la première privilégiant le paritarisme, la solidarité et les intérêts des assurés, l’autre une certaine course à la rentabilité.
André Renaudin : consolider AG2R La Mondiale tout en préservant ses valeurs
C’est un approchement sans précédent qui s’annonce. D’ici au 1er janvier 2019, les groupes AG2R La Mondiale — qui a connu une année 2017 « historique » — et la Matmut donneront naissance à un nouveau groupe prudentiel, « le seul groupe de protection sociale dans le Top 10 de l’assurance, toutes familles confondues », selon André Renaudin, le directeur général d’AG2R La Mondiale. Un nouvel ensemble qui totaliserait 12 milliards d’euros de chiffre d’affaires.
Les deux groupes sont complémentaires : AG2R La Mondiale (10,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2016) est centré sur l’assurance de personnes et l’épargne, alors que la Matmut (2 milliards d’euros de chiffres d’affaires) assure les particuliers pour leur véhicule et leur habitation (IARD). « Nous avons une vision partagée autour de la nécessité de trouver un partenaire pour faire un groupe complet », résume André Renaudin. Reste à leurs assemblées générales respectives à valider, fin mai début juin, ce mariage.
Ce rapprochement s’inscrit dans une période de consolidation des acteurs français de la protection sociale. Plus gros, le nouvel ensemble né de l’accord entre AG2R La Mondiale et la Matmut ne devra pas perdre de vue les valeurs et engagements sociétaux des groupes, chers à M. Renaudin. Des valeurs de solidarité et de performance « ancrées dans notre ADN », insiste-t-on chez AG2R : « parce que nous accompagnons nos clients depuis plus de 100 ans, (…) que nous sommes une société (…) paritaire et mutualiste, (…) que nous ne rémunérons pas d’actionnaires (et) parce que les intérêts de nos assurés sont aussi nos intérêts ».
Parce qu’enfin, « notre engagement sociétal replace l’intérêt général dans nos mains ». Un engagement sociétal porté par André Renaudin, qui a récemment lancé la fondation d’entreprise AG2R La Mondiale en faveur de la culture : « à travers cette fondation, AG2R La Mondiale entend renforcer et mieux structurer son engagement sociétal en matière de mécénat culturel ». Le directeur général du groupe — qui ne manque jamais une occasion de vanter les mérites de sa région d’enfance, l’Alsace — place aussi l’innovation au cœur de sa stratégie, en soutenant Créalia Occitanie, un fonds régional de financement et de soutien en amorçage aux entreprises innovantes. En somme, un groupe ancré dans le terrain et le quotidien.
En 10 ans, André Renaudin a su, à la tête d’une équipe fidèle, construire un groupe performant prêt à affronter les vents récurrents de réforme. En 10 ans, il a su, à l’image d’un pionnier de l’économie sociale, imaginer un modèle politique, industriel et de services unique et salué par ses pairs.
Claude Bébéar, le pionnier de l’assurance privée à la française
Du côté d’Axa, on semble au contraire préférer les salons feutrés de la haute finance aux réalités plus terre à terre du paritarisme. C’est en 2008 que Claude Bébéar, alors considéré comme le véritable « parrain » du capitalisme français, a quitté la compagnie Axa. Mettant ainsi un terme à une carrière de 40 ans ayant donné naissance, par rachats successifs, à un géant mondial de l’assurance : en 2017, pour la première fois de son histoire, le résultat opérationnel et le résultat net du groupe ont dépassé les 6 milliards d’euros.
De petit assureur mutualiste de province, Axa est ainsi devenu l’un des premiers assureurs mondiaux. Une course à la taille qui a longtemps été fondée sur une stratégie privilégiant l’assurance… « et seulement l’assurance », clamait Claude Bébéar. Avant que le groupe ne se diversifie vers divers métiers financiers : le capitalisme est « ce que l’on a trouvé de mieux, car il est l’expression de la liberté d’entreprendre », balaie celui qui a fondé le très libéral Institut Montaigne, à la pointe quand il s’agit de proposer des réformes d’inspiration anglo-saxonnes.
Symbole du capitalisme d’Axa : le groupe est la seule assurance à être cotée au CAC 40 à ce jour. Et ce géant, aujourd’hui emmené par Thomas Buberl, rêve plus grand : le 26 avril dernier, le groupe a officialisé le « lancement de l’introduction à la Bourse de New York de sa filiale américaine d’assurance-vie et de gestion d’actifs ».
Le paritarisme et le mutualisme menacés par la course au profit ?
Le succès, indéniable, d’Axa, illustre le glissement de certains acteurs mutualistes et paritaires vers un modèle où seule la course au profit compte. « Les valeurs de solidarité et de proximité ont fait place à la recherche de l’efficacité et au gigantisme », analyse le journaliste Marc Michaux, de L’Expansion, qui se demandait déjà, en 2007, si « les mutuelles sont condamnées à suivre les traces d’Axa ».
Faisant face à des contraintes de solvabilité toujours plus strictes, les acteurs de la protection sociale n’ont, semble-t-il, pas d’autres choix que de croître pour survivre. « Mais ces succès se font le plus souvent au détriment de l’esprit coopératif et mutualiste et des valeurs de proximité, de solidarité et de démocratie, déplore Marc Michaux : le spectre de la banalisation plane sur la mutualité ». Un défi que relève André Renaudin, bien décidé à ce que le nouvel ensemble issu du rapprochement entre AG2R La Mondiale et la Matmut conserve les valeurs paritaires et mutualistes qui sont les siennes.