Longtemps fantasmés, les Green Bonds – obligations vertes en français – ont pris leur élan et sont désormais (presque) incontournables sur les marchés obligataires. Cela est d’autant plus vrai pour la France qui s’est hissée en tête des pays européens en matière de finance verte. Cette première place en Europe (3e au niveau mondial) est due notamment à une forte impulsion de l’Etat qui a réussi son émission de 9,7 milliards d’euros de titres souverains dédiée aux obligations vertes.
Comment passer des grands discours en faveur de la protection du climat et de la planète à des réalisations concrètes à un niveau tel qu’elles peuvent influencer le cours des choses ? La réponse se trouve peut-être en France où l’enthousiasme pour les Green Bonds ne se dément pas. La finance verdit et suit de près les discours des pouvoirs publics et des entreprises. « Aujourd’hui, la France bénéficie d’un écosystème favorable au développement de la finance verte : les pouvoirs publics sont très fortement engagés, les investisseurs socialement responsables, qu’ils soient spécialisés ou institutionnels, sont nombreux et actifs sur la place de Paris et de grandes entreprises se sont saisies très tôt des outils de la finance verte » constate Xavier Girre, Directeur exécutif en charge de la direction financière groupe chez EDF. Depuis 2012, ce sont donc 37 milliards d’euros d’émissions obligataires qui ont été lancés rien qu’en France. Un succès qui en fait le leader européen incontesté « et ce, grâce aux entreprises qui se sont engagées dans la lutte contre le changement climatique, notamment dans les domaines du transport, du bâtiment et, surtout, de l’énergie » poursuit Xavier Girre.
Les Green Bonds : plus qu’un effet de mode
Pour bien apprécier ce mouvement en action, il est peut-être utile de rappeler ce que sont les Green Bonds. Francisées, ce sont des obligations vertes, c’est-à-dire des emprunts obligataires qui ont vocation à financer des projets liés à la transition énergétique et à la sauvegarde de l’environnement. Les entreprises ont développé des messages en ce sens depuis des années, et les mots sont suivis d’effet. Engie, en prise directe avec la transition énergétique a émis 6,25 milliards d’euros d’obligations vertes depuis 2014. EDF a, de son côté, émis l’équivalent de 4,5 milliards d’euros dans des projets renouvelables en 5 tranches et 3 devises depuis 2013. Ces deux géants français de l’énergie ont été rejoints en 2017 par la Caisse des Dépôts et la RATP qui ont émis un demi-milliard d’euros chacune.
Banque, assurance, immobilier, tous les secteurs se sentent pleinement concernés par la finance verte et le mouvement n’est pas encore arrivé à maturité. Un rapport publié en avril 2018 par le par Climate Bonds Initiative (CBI) et Lyxor Asset Management assure qu’avec le soutien actif du gouvernement français et de l’Autorité des marchés financiers, la dynamique est excellente et permet de faire de la France un élève modèle.
L’Etat joue un rôle décisif dans l’essor des Green Bonds comme en témoignent les 9,7 milliards d’euros d’obligations vertes émises par l’exécutif français en 2017 (qui s’inscrivent en plus des 37 milliards déjà cités). Ce succès de cette obligation assimilable du Trésor (OAT verte) permet de financer de multiples projets dans quatre domaines : l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre, l’adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité et l’abattement des pollutions. En symbiose avec les discours les plus pressants, 55 % des 9,7 milliards d’euros émis ont été alloués à des projets visant l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre.
Une OAT verte réussie qui doit être accompagnée
Cette première OAT verte a été suivie par près de 200 investisseurs dont un tiers est constitué par des gestionnaires d’actifs. L’Etat a très largement séduit le privé puisque seuls 4 % des OAT vertes sont détenues par des institutions publiques. Dans son rapport d’allocation et de performance 2017 relatif à l’OAT verte, l’Agence France Trésor présente six secteurs stratégiques : bâtiment, ressources vivantes, transports, énergie, adaptation, pollution. La question de l’énergie est centrale, car elle recoupe la plupart des secteurs ci-dessus évoqués.
L’Agence France Trésor rappelle que « si le mix électrique de la France est certes bas-carbone, son mix énergétique primaire reste quant à lui composé à plus de 47 % par des énergies fossiles ». Il reste donc des efforts importants à faire dans les deux principaux secteurs les plus gourmands en énergies fossiles : les transports et le résidentiel-tertiaire. Et pour développer des transports plus propres, l’électricité tient la corde. La vente de véhicules thermiques sera interdite à partir de 2040, mais pour bien faire fonctionner les flottes électriques, le rapport souligne que la production électrique française devra « se développer tout en restant bas-carbone ».
Les batteries (pour véhicules), les énergies renouvelables et le stockage de l’énergie sont donc au cœur de la recherche afin d’assurer une production d’électricité plus abondante et toujours bas-carbone. L’Etat, toujours lui, a lancé des Programmes d’Investissement d’Avenir (PIA) pour notamment contribuer au développement plus rapide de l’éolien flottant. Quatre projets ont été sélectionnés dont le Projet Provence Grand Large (au sud-est d’Arles) piloté par EDF. La Manche et l’océan Atlantique n’ont pas le monopole des projets éoliens en mer et c’est l’ensemble du territoire français qui s’inscrit dans le développement d’une électricité plus abondante et propre.
La France peut se présenter comme un modèle de la finance verte, mais la réussite à long terme dépendra aussi de l’arrivée en force ou non de Bruxelles dans ce domaine. La Commission européenne s’est enfin emparée du sujet en mars 2018 avec la présentation d’un plan d’action en faveur de la finance verte. Les deux mesures phares qui sont aussi les plus urgentes se sont distinguées : la mise en place d’une taxonomie qui permettra à tous les acteurs d’identifier rapidement les projets qui relèvent de la transition énergétique mais aussi l’obligation de transparence, au niveau européen, pour les gérants d’actifs, investisseurs institutionnels et entreprises.
Cette obligation de transparence est déjà présente dans la loi relative à la transition énergétique de 2015, mais il est urgent que les bonnes pratiques françaises deviennent également la règle au niveau européen. « Avec le soutien et les actions des institutions gouvernementales et financières, la France a pris les commandes du marché des obligations vertes non seulement en Europe, mais aussi sur la scène internationale. Elle a mis sur pied un marché robuste qui tient aujourd’hui lieu d’exemple en matière de meilleures pratiques », conclut Manuel Adamini, responsable du programme de sensibilisation des investisseurs et des partenaires, Climate Bonds Initiative. La France a donné une impulsion efficace, il est désormais temps que l’UE prenne la balle au bond afin de rendre la finance européenne plus verte et socialement acceptable.