Les relations économiques entre le Vietnam et la Corée du Sud n’ont jamais été aussi florissantes. Mais le déni de sa responsabilité dans l’histoire des femmes vietnamiennes violées par des soldats sud-coréens durant la guerre pourrait obérer les efforts de Séoul.
En décembre 1992, le Vietnam et la Corée du Sud rétablissaient leurs relations diplomatiques. Depuis cette date, les échanges entre les deux pays n’ont cessé de prospérer dans tous les domaines : politique, économique, sécuritaire, culturel et sociétal. Des échanges gravés dans le marbre d’un premier « Partenariat global » signé en 2001, réaffirmé par la signature d’un second partenariat bilatéral en 2009.
Des relations économiques florissantes
Tous deux membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), le Vietnam et la Corée du Sud entretiennent de fructueuses relations diplomatiques, des délégations officielles des deux pays se rendant régulièrement dans l’autre. Mais c’est surtout sur le plan des affaires que la coopération entre le Vietnam et la Corée du Sud est fructueuse.
D’un demi-milliard de dollars américains en 1992, les échanges commerciaux entre les deux pays sont passés, en 2017, à 58,5 milliards de dollars — soit une multiplication fulgurante par 117. Aujourd’hui, le Vietnam est le troisième partenaire commercial de la Corée du Sud, après la Chine et les États-Unis. Et la Corée du Sud s’est hissée au deuxième rang des partenaires commerciaux du Vietnam.
Une tendance qui n’est pas prête de s’inverser, le total des échanges commerciaux entre les deux pays ayant atteint près de 33 milliards de dollars au cours du seul premier semestre 2018. Et, selon le président de la Fédération des industries sud-coréennes, « d’ici 2020, le chiffre d’affaires commercial des deux pays pourrait atteindre 100 milliards de dollars, ce qui correspond aux engagements pris par les dirigeants » vietnamiens et sud-coréens.
Les relations commerciales entre les deux pays sont basées sur leurs avantages mutuels et complémentaires. La Corée du Sud dispose du capital, des technologies de pointe et du savoir-faire ; le Vietnam peut quant à lui compter sur une main-d’œuvre jeune (60 % des Vietnamiens ont moins de 35 ans) abondante et qualifiée. Raison pour laquelle la plupart des fleurons sud-coréens tels que Samsung ou LG ont investi au Vietnam au cours des dernières années.
Enfin, les échanges entre les deux pays ne se limitent pas à la sphère économique. Il y a ainsi plus de 20 000 étudiants vietnamiens en Corée du Sud, et le Vietnam reste la destination la plus populaire des Sud-Coréens en Asie du Sud-Est. Quelque 150 000 Coréens vivent et travaillent au Vietnam, et 170 000 Vietnamiens en Corée du Sud – ce qui résulte dans le fait que plus de 60 000 Vietnamiennes ont épousé un mari sud-coréen.
Le tragique destin des Lai Dai Han pourrait compromettre les relations entre les deux pays
Autant de familles multiculturelles qui sont très officiellement promues par les autorités comme des « messagers diplomatiques », chargées de promouvoir les relations « d’alliance » entre les deux pays. Les relations entre les deux nations asiatiques n’ont pas toujours été si apaisées. Le tragique destin des « Lai Dai Han » le rappelle crûment.
Les Lai Dai Han, littéralement les enfants de « sang-mêlé », ce sont ces enfants nés du viol de femmes et fillettes vietnamiennes par des soldats sud-coréens, qui étaient plusieurs centaines de milliers à épauler les opérations militaires des États-Unis lors de la guerre du Vietnam. Un épisode largement méconnu en Europe, mais qui concernerait de 5 000 à 30 000 enfants et leurs familles. Autant de familles qui vivent, plus de quarante ans après la fin de la guerre, un véritable enfer quotidien.
Racisme, exclusion sociale, professionnelle et économique : du fait de leur ascendance étrangère et de leur absence de père, les Lai Dai Han sont, encore aujourd’hui, exclus d’une société vietnamienne restée traditionnelle. Rien n’est épargné à ces enfants « illégitimes », nés de l’agresseur — agresseur qui refuse toujours, qui plus est, de reconnaître sa propre responsabilité dans ce drame.
En 2013, le porte-parole du ministre sud-coréen de la Défense a ainsi affirmé que « vu que notre armée a exécuté sa mission sous des règles strictes, il n’y a eu aucune exploitation sexuelle de femmes vietnamiennes ». Une manière de se défausser qui frise avec le déni, voire le négationnisme pur et simple. Les manuels d’Histoire des élèves sud-coréens ont même dû subir d’incessantes réécritures à propos de cet épisode dramatique, preuve s’il en est que le sujet reste tabou à Séoul. Ne pas reconnaître sa responsabilité dans le destin des Lai Dai Han fait pourtant courir le risque à la Corée du Sud d’une réconciliation incomplète avec le Vietnam. Les affaires ne font pas tout ; les symboles comptent tout autant.