Le Qatar, toujours victime du blocus orchestré par ses puissants voisins saoudiens, émiratis et égyptiens maintien l’activisme politique et diplomatique qui a fait son succès ces 20 dernières années. Illustration avec le Liban, qui bascule depuis plusieurs mois dans l’orbite géopolitique du puissant émirat gazier.
C’est un petit coup de génie qui a manifestement pris les Saoudiens de court. Le 21 janvier, le ministre qatari des Affaires étrangères, Mohammed ben Abdulrahman al-Thani, annonçait que son pays investirait 500 millions de dollars dans les bons du Trésor libanais. « Nous souhaitons que la république libanaise et le peuple libanais soient stables et prospères et que l’économie libanaise se remette sur les rails. La région a besoin d’un Liban fort et prospère », a expliqué le chef de la diplomatie qatarienne.
Une décision saluée par les agences de notations et par les marchés financiers : le soutien de Doha est une véritable bouffée d’oxygène pour Beyrouth. L’État libanais, endetté à hauteur de 160 % de son PIB, s’est engagé à réformer en profondeur l’économie du pays en avril dernier. L’afflux de capitaux qataris offre au nouveau gouvernement de Saad Hariri une marge de manœuvre supplémentaire pour remodeler les finances nationales.
Une prise de position du Qatar qui a fait réagir bien au-delà des frontières du pays du Cèdre. Le mardi 22 janvier, soit au lendemain de l’annonce d’investissement du Qatar, le ministre saoudien des Finances, Mohammad al-Jadaan, a tenu à préciser que Riyad était également aux côtés du Liban. « Nous avons intérêt à la stabilité du Liban et nous le soutiendrons par tous les moyens », a déclaré le Saoudien depuis Davos, où il participait à la réunion annuelle du Forum économique mondial. « Nous sommes également déterminés à faire en sorte que nous jouions notre rôle de catalyseur de stabilité dans la région », a-t-il ajouté. Riyad ne compte pas se faire damer le pion aussi facilement.
« Trou noir »
Mais les déclarations du ministre n’ont pas réussi à faire oublier l’absence de personnalités politiques saoudiennes de premier plan lors du sommet économique arabe qui s’est tenu à Beyrouth entre le 18 et le 20 janvier. Or, c’est précisément à l’issue de ce sommet, auquel s’était rendu l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad al-Thani, que l’annonce d’investissement a été faite.
Loin d’être anecdotique, cette absence confirme le déclin progressif de l’engagement saoudien auprès de certains pays de la région, un vide que le Qatar se propose de combler alors que ses relations avec Riyad sont rompues à cause du blocus.
Pour Karen Young, chercheuse résidente à l’American Enterprise Institute, si l’investissement qatarien est significatif, c’est qu’il intervient « à un moment où l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis n’ont pas montré de signes de soutien envers le Liban ».
Un avis partagé par Hisham Melhem, chroniqueur au quotidien libanais An Nahar et chercheur à l’Institut des États arabes du Golfe à Washington. Pour le chercheur, « les erreurs de calcul des Saoudiens ont laissé un vide » que Doha essaie de combler. « Les nouveaux dirigeants saoudiens considèrent le Liban comme un trou noir dans lequel il n’y a pas de retour politique à espérer de l’aide financière ».
Échec du blocus
Rattaché à l’Institut Baker de politique publique de l’université Rice à Houston, Kristian Coates Ulrichsen estime de son côté que la présence du cheikh Tamim au sommet de Beyrouth « reflète une politique qatarienne de longue date qui consiste à chercher des solutions arabes aux problèmes arabes ». Une tradition ancienne que le Qatar doit cependant mettre à jour, compte tenu des circonstances. « Le blocus du Qatar par quatre États régionaux, dirigés par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, a libéré le Qatar des contraintes liées à l’alignement sur des intérêts saoudiens ou émiratis plus étroits dans le cadre du Conseil de coopération du Golfe. Elle a également donné au Qatar l’espace nécessaire pour suivre une approche panarabe des enjeux de la région », analyse-t-il.
Éditeur et rédacteur pour The New Arab, journal panarabe basé à Londres, Karim Traboulsi ne dit pas autre chose. Aux yeux de ce spécialiste, le coup de génie du Qatar montre que le pays se sent « de plus en plus confiant après l’échec du blocus mené par les Saoudiens » et que Doha « s’apprête à prendre une position affirmée dans la région ».
« On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens » écrivait le cardinal de Retz. La concurrence feutrée entre Riyad et Doha conduisait mécaniquement le petit émirat à modérer les moyens mis en œuvre pour réaliser ses objectifs stratégiques. En faisait éclater au grand jour cette rivalité et en échouant à mater le petit émirat, l’Arabie saoudite a offert au Qatar l’opportunité de réaliser pleinement ses ambitions diplomatiques.