Près d’un an après le lancement du plan hydrogène par le gouvernement, entreprises et régions se mobilisent enfin pour exploiter l’énorme potentiel de la filière.
En pleine concertation publique sur la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie), l’information était presque passée inaperçue. Le 1er juin 2018, Nicolas Hulot avait annoncé un plan de développement de la filière hydrogène, prévoyant une enveloppe de 100 millions d’euros débloquée dès 2019. Une goutte d’eau, certes, par rapport aux 7 à 8 milliards d’euros d’investissements annuels promis par Emmanuel Macron pour favoriser l’essor des énergies renouvelables ces dix prochaines années. Mais dix mois après le lancement du plan hydrogène par l’ex-ministre de la Transition écologique et solidaire, les acteurs de la filière semblent enfin s’être réveillés. Le 25 mars, on apprenait la création d’un groupe d’études sur l’hydrogène à l’Assemblée nationale, à l’initiative du député LREM Michel Delpon. « L’hydrogène, c’est l’énergie propre par excellence. Mon ambition, c’est qu’elle devienne l’énergie du futur en France », déclarait l’élu de Dordogne, qui entend auditionner prochainement les entreprises du secteur. Hasard ou non du calendrier, les régions de France et les industriels de la filière hydrogène demandaient, une semaine plus tard, la concrétisation et la pérennisation du plan gouvernemental dans une lettre adressée au Premier ministre Édouard Philippe, le 2 avril. « Forte d’une recherche de haut niveau et d’acteurs industriels présents sur toute la chaîne de valeur, la France a tous les atouts pour prendre sa place dans la compétition mondiale, affirme la missive. […] L’État doit se donner toutes les chances de bâtir une filière hydrogène verte et compétitive. Il en va de notre volonté collective de suivre une trajectoire compatible avec les objectifs impérieux de l’Accord de Paris. »
Le même jour, un acteur majeur de l’énergie française dévoilait justement ses projets concrets dans le domaine de l’hydrogène. À l’occasion de la Foire internationale d’Hanovre, EDF annonçait la création de sa filiale Hynamics afin de proposer une offre d’hydrogène bas carbone performante pour l’industrie et la mobilité. Le groupe cible en effet les entreprises qui utilisent l’hydrogène comme matière première dans la raffinerie, la verrerie, l’agro-alimentaire ou encore la chimie. Il vise également les véhicules électriques lourds comme les trains, bus et bennes à ordures, mais aussi les utilitaires et les moyens de transports fluviaux. Hynamics a ainsi identifié une quarantaine de projets à développer en France, en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni. Seule condition : produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau à partir d’électricité issue du nucléaire ou de l’hydraulique, et ce afin de limiter les émissions carbone. « La production d’hydrogène sans émissions de CO2 est un facteur-clé de la transition écologique, explique Cédric Lewandowski, Directeur Exécutif du Groupe EDF Stratégie, Innovation et Responsabilité d’Entreprise. En se dotant d’un nouveau métier, le groupe valorise les compétences, l’expertise et la capacité d’innovation de ses salariés au service de nos clients. Avec l’ensemble des acteurs, EDF souhaite contribuer à la filière hydrogène française et européenne dans un marché mondial qui constitue une formidable opportunité en termes de croissance et d’emplois. » L’offre d’Hynamics se veut en effet « multi-usages et performante économiquement », selon sa directrice générale Christelle Rouillé, à l’image des caractéristiques et perspectives de la filière hydrogène.
Une réponse aux problématiques énergétiques et climatiques
Le secteur des transports, en particulier, a déjà misé depuis plusieurs années sur l’hydrogène pour les bus et trains. En Allemagne, 35 trains ont déjà été commandés à Alstom, qui a mis en service ses premiers wagons en septembre outre-Rhin. En France, la SNCF s’apprêterait à passer à son tour commande cet été 20119 afin d’équiper ses TER de rames à hydrogène d’ici 2021 ou 2022. D’autres projets d’envergure seraient à l’étude dans les transports, à l’image des joint-ventures formées par Air Liquide, Toyota et les taxis Hype d’un côté ; Michelin, Faurecia et SymbioFCell de l’autre. Et pour cause : la filière hydrogène permet un champ d’utilisations multiples, source d’enjeux majeurs pour l’industrie mondiale comme pour les territoires et la planète. Très abondant dans l’univers et sur Terre, l’hydrogène est un gaz souvent associé à d’autres éléments comme l’oxygène, le carbone et l’azote. Il est ainsi présent dans l’eau, le gaz naturel, le charbon ou encore le pétrole. Quand il est isolé par électrolyse à partir d’eau (H2O) et d’électricité, l’hydrogène pur présente l’énorme intérêt, notamment pour les énergies renouvelables, de pouvoir stocker l’électricité sous forme de gaz. Il peut donc se retransformer en électricité en utilisant une simple pile à combustible, source de carburant propre pour les véhicules électriques. L’hydrogène peut également capter du CO2 pour fabriquer du méthane (MH4), qui pourra être ensuite injecté dans le réseau de gaz.
Réponse naturelle à de nombreuses problématiques énergétiques et climatiques, l’hydrogène présente toutefois un bémol : son coût élevé d’utilisation, faute d’investissements suffisants dans la filière. Si la consommation d’hydrogène devrait représenter 18 % de la demande en énergie finale dans le monde d’ici 2050, près de 95 % de l’hydrogène est actuellement produit à partir d’énergies fossiles. C’est pour développer l’hydrogène bas carbone que le gouvernement a justement lancé, en juin 2018, un plan de développement ambitieux. Les 100 millions d’euros promis dès 2019 doivent en effet permettre de décarboner l’hydrogène industriel à hauteur de 10 % d’ici 2023 et de 20 à 40 % d’ici 2028. Le plan gouvernemental prévoit aussi de mettre en service 100 stations de distribution, 200 véhicules lourds (bus, camions, trains et bateaux) ainsi que 5 000 véhicules utilitaires légers d’ici 2023. À l’horizon 2050, l’État français estime que l’hydrogène et les piles à combustible pourraient représenter un chiffre d’affaires de 40 milliards d’euros et plus de 150 000 emplois rien qu’en France. Sans oublier, 55 millions de tonnes de CO2 en moins par an… Des enjeux dont certains territoires se sont déjà emparés en s’équipant notamment de bus à hydrogène, comme les villes de Pau, Auxerre, Toulouse ou encore Versailles, qui bénéficient de subventions européennes. Car selon Valérie Bouillon-Delporte, présidente de l’association Hydrogen Europe, « les objectifs d’émissions de CO2 fixés par l’Europe ne seront pas possibles sans hydrogène ».