Portés par les progrès du numérique, les métiers du droit vivent aujourd’hui une révolution à bas bruit. Avec l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux services, les forces en présence gagneraient à s’entraider afin de mener ensemble cette transformation de premier plan.
On connaissait les FinTech. Il va falloir s’habituer à un autre de ces mots hybrides qui témoignent de la pénétration du numérique dans tous les secteurs de l’activité humaine : les LegalTech. Derrière ce néologisme se cachent des entreprises qui entendent révolutionner la pratique du droit par les algorithmes. Le secteur est en pleine ébullition. D’après Bpifrance, qui mène une réflexion au long cours sur le sujet, la France compte plus de 200 entreprises qui peuvent se revendiquer du mouvement.
Les LegalTech visent aussi bien les professionnels du droit (avocats, magistrats, notaires) que les entreprises et particuliers. Pour ces derniers, il existe aujourd’hui une myriade de solutions accessibles en ligne pour gérer sa comptabilité (ILoveTax), optimiser ses impôts (Tacotax), régler des litiges du quotidien (Demander Justice, Saisir Prud’hommes). La promesse commune à tous ces sites : avancer dans la jungle du droit sans être obligé de recourir à un avocat, ou du moins retarder le moment où il faudra faire appel à ses services.
Révéler la valeur ajoutée des professionnels du droit
Une telle promesse peut faire peur, dans un secteur marqué par la culture du papier, auquel on associe parfois l’image de praticiens assis sur un savoir enfoui dans des siècles d’archives. La peur de l’uberisation ne risque-t-elle pas de dresser les experts du droit contre ces trouble-fête ? Pas forcément. Car les LegalTech portent une promesse alléchante pour les professionnels : les délester des tâches les plus chronophages pour redonner sa valeur ajoutée à la pratique pure du droit.
Certaines solutions proposent ainsi d’accéder à une information éparse. « En tant que juriste, explique Nicolas Bustamante, j’ai été frappé par le manque d’accessibilité des décisions de justice. Moins de 1% des décisions rendues par les juridictions françaises sont disponibles en ligne ». De ce manque de transparence, cet ancien juriste a décidé de faire un atout business en créant le site Doctrine.fr. La promesse de cette start-up qui se présente comme le « Google du droit français » : organiser l’information juridique et la mettre à disposition de tous les avocats, des justiciables, ainsi que de toutes les personnes qui ont un besoin de droit.
En matière de traitement de l’information, les solutions développées par les LegalTech feront toujours mieux qu’une armada de clercs rivés à leurs pupitres. L’outil d’analyse de Predictice, qui a remporté le Grand Prix Digital 2018, est capable de lire deux millions de décisions de justice à la seconde. La capacité à contextualiser, à mettre en perspective les décisions de justice avec les textes, à visualiser les évolutions du droit dans le temps sont autant d’atouts précieux pour le juriste, qui peut se concentrer sur le coeur de sa mission : interpréter, analyser, se projeter.
Résistances et cas de conscience
Entre se projeter et prédire il n’y a qu’un pas. Depuis Minority Report, une image vient tout de suite à l’esprit quand on associe droit et technologie : celui d’une justice rendue par les machines. Cela dit, le champ de la justice prédictive est très éloigné des fantasmes agités par la science fiction, comme l’ont prouvé certaines expériences peu concluantes menées aux Etats-Unis. « En réalité, l’IA ne comprend pas ce qu’elle lit, explique Hervé Coindreau de Bpifrance. Elle fait des recoupements qu’il faut faire ensuite valider par un humain. L’algorithme ne peut pas se substituer à un juge. » Selon Bruno Deffains, Directeur du Centre de Recherches en Economie et Droit (CRED), l’Intelligence artificielle viendrait surtout en appui et offrirait « des gains de productivité immédiats » à des juristes, des avocats et des magistrats qui « passent un temps fou à chercher de l’information et à ne pas pouvoir se consacrer au coeur de leur métier ».
Le secteur offre suffisamment de cas de conscience pour ne pas avoir à convoquer les mânes d’Isaac Asimov ou de Philip K. Dick. Le droit est une matière vivante, qui touche au coeur des relations humaines. A ce titre, toutes les innovations ne sont pas forcément bonnes à prendre, comme le rappelait Fabien Waechter, dirigeant de Lexbase, lors d’une table ronde sur le sujet. « Doit-on un jour proposer des statistiques sur les juges ? Des outils de calculs qui déterminent ce que l’on peut gagner dans un divorce ? »
Un de ces cas de conscience s’est posé récemment, lorsque Doctrine.fr s’est retrouvé en procès contre le ministère de la Justice, qui s’opposait à la publication sur son site de certaines décisions des tribunaux. Pour l’heure, la justice a donné raison à l’Etat, mais les dirigeants de la start-up ont décidé de porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, au nom de la liberté d’informer. Quant aux ténors du barreau, ils se sont prononcés en faveur de Doctrine.fr. L’enjeu est de taille : prouver que l’information sur le droit et le droit à l’information sont bel et bien compatibles.
Essor et coordination des LegalTech
Certains groupes français, tels que Septeo, Fiducial ou encore Questel, qui proposent des services IT aux professionnels du droit, se distinguent, par leur dynamisme et leur croissance au sein du marché mondial des legal technologies. Dans ce grand maelstrom de startsups qui sont apparues ces dernières années afin de modifier et de simplifier la pratique du droit et face aux professionnels (huissiers, avocats, notaires, juristes d’entreprises) qui créent eux-mêmes leurs propres services de legaltech, les acteurs du secteur auraient intérêt à mettre en synergie leurs savoir-faire et leurs expertises propres. L’objectif ? Mener, au sein de professions régies par des pratiques codifiées et un corpus juridique millénaire, une révolution technologique sans précédent.