Très répandue, notamment parmi les commerciaux, la rémunération variable ne présente pourtant pas que des avantages. Au contraire, lorsque celle-ci est trop importante ou mal encadrée, elle peut conduire le salarié à certaines dérives.
Parce qu’elle renvoie à des notions de motivation et de mérite, la rémunération variable doit, en théorie, permettre d’améliorer la performance du salarié, et donc de son entreprise. Être mieux payé en cas de bons résultats semble, en effet, tout à fait souhaitable pour les deux parties. Encore peu courant dans les années 70, ce mode de rémunération s’est par la suite institutionnalisé pour devenir majoritaire après les années 90, selon Armand Hatchuel, professeur à Mines Paris-Tech.
Sur le papier, cette pratique présente des avantages évidents : le salaire moyen d’un commercial, profession dans laquelle les primes à la performance se sont généralisées, a ainsi récemment dépassé la barre des 50 000 euros par an en France, pour s’établir désormais au-dessus de celui d’un cadre moyen.
Selon le dernier baromètre de la rémunération variable paru en 2016, le niveau de part variable progresserait d’année en année dans le package global des commerciaux. Entre 2015 et 2016, il aurait même bondi de 5 points (18 % contre 13 %). La tendance est également au versement de cette partie variable, non pas en une seule fois, mais selon un échéancier, comme c’est le cas pour 48 % des commerciaux, et à consentir à des avances sur primes (81 % des entreprises). Une solution idéale pour récompenser les meilleurs éléments de leurs efforts ? Pas forcément, à en croire certains spécialistes.
Si le niveau de rémunération variable a tendance à être de moins en moins indexé sur des indicateurs de performance individuels (62 % en 2017, contre 86 % en 2016), celui-ci présenterait plusieurs écueils notoires. Dans son ouvrage « Encadrer une équipe : la conduite des hommes », Alain Astouric dresse ainsi une liste des limites liées aux systèmes de rémunération à part variable.
Selon l’auteur, cette pratique peut notamment amener un salarié à privilégier son intérêt personnel plutôt que celui de l’entreprise ; exacerber la compétition entre collaborateurs au point de créer une ambiance délétère ; favoriser les résultats plutôt que le travail réel, ou encore être utilisé comme moyen de pression sur les employés.
Autre effet pervers du variable, notamment pour les commerciaux : celui de privilégier la quantité à la qualité des contrats signés. En effet, certains professionnels peuvent être tentés de multiplier les contrats pour gonfler au maximum leur chiffre d’affaires, quitte à jouer avec la vérité. Cette stratégie court-termiste se révèle généralement néfaste pour l’entreprise. Cette dernière ayant plutôt intérêt à nouer des relations commerciales durables avec ses clients.
« Inciter les commerciaux à produire un service de qualité favorise une plus grande fidélisation client et développe le “repeat business”, affirme Fabien Lucron, directeur du développement chez Primeum, cabinet spécialisé dans la rémunération variable. Ainsi, maintenir des critères d’ordres quantitatifs en y ajoutant des éléments permettant l’évaluation de la qualité de la relation client semble un bon compromis pour développer la motivation et par extension la performance des équipes commerciales. »
Démarchage abusif
Quand la part de rémunération variable est trop importante, le salarié peut ainsi être tenté de franchir la ligne rouge. Ces dernières années, de telles pratiques ont conduit à de nombreux abus, parmi lesquels le démarchage abusif. Par téléphone ou à domicile, certains commerciaux motivés par l’appât du gain n’hésitent pas à recourir à des techniques de vente abusives, voire même illégales, pour vendre leurs produits ou services. En raison de l’ouverture du marché du gaz et de l’électricité à la concurrence, le secteur de l’énergie est particulièrement touché par ce fléau.
Chaque année, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) enregistre ainsi un nombre de plaintes en constante augmentation : 1 800 plaintes ont ainsi été enregistrées par l’organisme en 2018, soit quatre fois plus qu’en 2016… De son côté, le médiateur national de l’énergie a également constaté une hausse du nombre de litiges au cours des dernières années. Entre 2016 et 2018, ces derniers ont ainsi progressé de 38 %.
Dans son rapport 2018, le désormais ex-médiateur de l’énergie, Jean Gaubert, cite plusieurs exemples de commerciaux s’étant fait passer pour des agents publics, de contrats signés à l’insu des clients ou encore de ciblage de prospects vulnérables (personnes âgées, précaires, etc.). Principal incriminé, l’énergéticien Engie (ex-ERDF) a ainsi été sanctionné par des amendes de 1 million et de 900 000 euros pour concurrence déloyale et démarchage abusif en 2019.
Problème : les plaintes continuent d’affluer. « Le cas d’Engie est édifiant et révélateur de certaines pratiques. Vous avez ici l’exemple d’un mastodonte de l’énergie condamné à deux reprises pour avoir bafoué les règles commerciales les plus élémentaires, dénonce Dimitri Houbron, député du Nord, qui, en octobre dernier, a interrogé, via une question écrite, le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Lemaire, sur le sujet. Le cas d’Engie nous démontre que notre arsenal législatif parvient à condamner des géants de l’énergie sur des litiges flagrants. Rappelons que la DGCCRF a mené une longue enquête pour mettre en lumière [ces]agissements. Mais, de toute évidence, notre législation n’est pas assez robuste pour faire face à ces nouvelles “techniques” commerciales qui parviennent à s’extirper des mailles du filet. »
Selon Jean Gaubert, ces dérives s’expliquent par « les conditions de rémunération des démarcheurs, au commissionnement variable, qui ne peuvent qu’entraîner des dérapages ». « Cette pression financière conduit bon nombre d’entre eux à passer outre les règles qui leur sont données, sans grandes contraintes d’ailleurs, par les fournisseurs, explique-t-il. L’essentiel est de faire signer des contrats par tous les moyens, licites ou illicites. » Plus que jamais pris pour cible par les consommateurs, le démarchage se dirige vers un encadrement plus strict, dont l’efficacité pourrait ne pas être optimale dès lors que les commerciaux continuent de percevoir une rémunération variable trop importante.