Alors que la France reprend, après de longues semaines de confinement, le chemin du travail, beaucoup appellent à une transformation radicale de notre modèle économique, prenant en compte les impératifs liés au changement climatique. Tour d’horizon en cinq points des pistes de réflexion pour une France plus verte et plus performante.
« La vieille opposition entre économie et écologie est dépassée » : le 30 avril, Elisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique, a plaidé avec son collègue à l’Économie, Bruno Le Maire, pour une relance durable de l’économie française – qui doit, selon ce dernier, devenir « la première économie décarbonée d’Europe ». S’il est entendu que le « monde d’après » la crise du Covid-19 ne doit pas ressembler à celui « d’avant », comment, en effet, concilier l’indispensable reprise économique avec la tout aussi indispensable prise en compte de l’urgence climatique et écologique ? Là réside le principal enjeu post-confinement. Quelles pistes d’actions permettent d’imaginer cette France à la fois performante économiquement et résolument engagée en faveur de l’environnement ?
Piste 1 : Conditionner les aides d’urgence aux entreprises à des contreparties climatiques innovantes
Pour bénéficier de l’aide d’urgence de 20 milliards d’euros aux entreprises stratégiques, les sociétés concernées devront se doter d’une raison d’être précisant leur utilité à la société. Elles devront également justifier d’une « intégration exemplaire des objectifs de responsabilité sociale, sociétale et environnementale dans leur stratégie ». Un premier pas bienvenu, mais « insuffisant pour créer une véritable dynamique », regrette Gérald Maradan, cofondateur d’EcoAct, un cabinet de conseil spécialisé dans le changement climatique. « Il faut aller plus loin, poursuit l’expert, et créer un nouvel instrument financier : le prêt à impact climat », incluant une indexation des taux d’intérêts sur la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’entreprise.
Piste 2 : Maintenir l’ambition de décarbonation des bâtiments neufs avec la RE 2020
« La crise actuelle doit être un véritable accélérateur de transitions énergétique, écologique et numérique que doivent franchir nos sociétés », estime – à contrepied du Medef – le Cinov, la fédération patronale du Conseil, de l’ingénierie et du numérique. Un constat qui concerne particulièrement le secteur du bâtiment, représentant, à lui seul, près de la moitié (45%) de la consommation d’énergie nationale et contribuant pour 18% aux émissions de GES de la France. Alors qu’Eric Bataille, président de l’AFPAC (Association française pour la pompe à chaleur), plaidait pour le maintien « des échéances et les objectifs de la prochaine RE (réglementation environnementale, présentée en début d’année par le gouvernement) 2020 et notamment le recours à la chaleur renouvelable dans tous les types de bâtiment », le gouvernement a revu son calendrier en raison de la crise sanitaire, sans toutefois revenir sur ses ambitions. Les objectifs de la RE2020 ont été rappelés : « lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment, y compris lors de sa construction, diminuer les consommations énergétiques, et mieux conserver de la fraîcheur dans les bâtiments lors des vagues de chaleur ». Tandis que les concertations se poursuivront durant l’été, les textes réglementaires seront publiés « fin 2020 ou au plus tard au tout début de l’année 2021 » pour une entrée en vigueur de la RE2020 à l’été 2021.
Piste 3 : Réformer la rénovation énergétique
Toujours dans le secteur du bâtiment, de nombreuses voix s’élèvent pour souligner l’enjeu de la rénovation énergétique, principal vecteur permettant d’alléger les factures des Français tout en réduisant les émissions de GES. L’association UFC-Que Choisir propose un certain nombre de mesures pour accélérer cette rénovation, tout en mettant en garde contre « les graves dysfonctionnements » du secteur : « démarchage abusif, manque d’accompagnement, performances en-deçà des résultats allégués, travaux plus chers qu’annoncés », etc. Des dérives symbolisées par « l’isolgate » : la laine de verre, majoritairement utilisée pour isoler les habitations, offrirait en réalité des performances jusqu’à 75% inférieures à celles affichées, et ce à cause de l’absence quasi-généralisée de pose de pare-vapeur et d’écran de sous-toiture. Une réforme des aides à la rénovation s’imposent pour de nombreux acteurs, pour éviter d’investir l’argent public dans des méthodes rénovations inefficaces pour les ménages et l’environnement.
Piste 4 : Vers une mobilité plus verte
Secteur le plus émetteur de GES, le transport doit lui aussi poursuivre sa transition verte. Révolution qui passera par l’électrification massive des véhicules, qui doivent eux-mêmes être massivement subventionnés par les pouvoirs publics. « Il faut créer des incitations pour que les constructeurs poursuivent leurs investissements », estime Cécile Goubet, de l’association Avere, « mais aussi pour que les particuliers puissent acquérir des véhicules électriques, qui risquent d’être défavorisés avec les prix du pétrole très bas ». Le développement du vélo fait également partie des pistes envisagées, à condition que les collectivités territoriales jouent leur part en prévoyant de nouveaux aménagements cyclables.
Piste 5 : Réindustrialiser le territoire
Enfin, parce « les chaînes d’approvisionnement internationales à flux tendus, sans stocks et sans redondance, nous rendent beaucoup trop vulnérables », estime dans les pages du Figaro l’économiste Gaël Giraud, « il est temps de relocaliser et de lancer une réindustrialisation verte de l’économie française », lance le directeur de recherche au CNRS. Qui conclut : « Cette crise doit devenir notre moment gaullien ».
Des réflexions au coeur du débat public français, qui se posent avec d’autant plus d’acuité au niveau européen. Alors que la crise sanitaire a momentanément supplanté le Green Deal au rang des priorités, les Etats européens restent divisés sur la stratégie à adopter pour répondre à l’urgence économique sans pour autant rogner sur l’ambition climatique du Vieux continent.