Marché du reconditionné : Le boom avant le crash ?

0

Le secteur du reconditionné, présenté comme écologique, solidaire, et créateur d’emplois, connaît un boom ces dernières années. Mais en France, sa montée en puissance pourrait bien être stoppée par un projet d’extension de la rémunération pour copie privée (RCP).

À l’heure où l’économie circulaire a sa partition à jouer dans la transition écologique, le secteur du reconditionné a le vent en poupe.

Face à des produits électroniques, smartphones en tête, toujours plus sophistiqués et affichés à des prix prohibitifs, le reconditionnement s’avère être une alternative fiable et attractive. Il n’est pas rare de voir des smartphones dernier cri proposés à -50% chez les principaux reconditionneurs, réduisant du même coup la fracture numérique en rendant accessibles les technologies de l’information au plus grand nombre.

Un secteur en plein boom

En France, la demande ne cesse de croître. ReBuy, un site en ligne spécialisé dans l’achat et la vente de produits électroniques reconditionnés, a mené une étude en partenariat avec la société internationale de sondage YouGov. Objectif : déceler les habitudes des Français en matière de recyclage et de reconditionnement. Il en ressort qu’un tiers des Français recycle ses appareils électroniques, et plus d’un tiers affirme avoir déjà acheté un produit électronique reconditionné. Ils sont 43% chez les 18-34 ans.

Le potentiel est là. Déjà, le marché du reconditionné est estimé à 50 Milliards de dollars (Mds$) dans le monde, dont 22 Md$ pour les seuls smartphones. En France, en 2020, 10% des téléphones vendus étaient reconditionnés. Soit la bagatelle de 2,8 millions d’appareils. Un chiffre qui a doublé par rapport à 2018. Au regard de ces données et alors que 85% des émissions de CO2 des smartphones sont liées à leur production, allonger leur durée de vie pèse lourd dans la balance.

Des Français sur le devant de la scène

Une filière d’avenir donc et dans laquelle des Français se sont taillé la part du lion et ont pris de l’avance sur leurs homologues européens. Preuve en est, le succès de Back Market. L’entreprise spécialisée dans la vente d’appareils électroniques reconditionnés vient de lever 276 millions d’euros (M€). Cette levée intervient 1 an après une précédente opération de 110 M€. En août dernier, l’entreprise avait déjà récolté 41 M€, via le fonds d’investissement Daphni, le groupe Arnault, le PDG du site showroomprive.com Thierry Petit et la société d’investissement Eurazeo, avec pour ambition de s’implanter à l’international.

Désormais valorisée à plus de 1 milliard de dollars (Md€), Back Market entre ainsi dans le club très fermé des « licornes » françaises. Soit ces entreprises non cotées en bourse qui dépassent le Md€ de valorisation. Énième preuve du succès de la société : elle a réalisé 96 millions d’euros de volume d’affaires dans cinq pays, en 2020, enregistrant une croissance de 220 %.

De quoi booster la création d’emplois, directs et indirects, dans le secteur. À ce jour, Back Market s’appuie sur pas moins de 350 usines partenaires, dont une centaine rien qu’en France. La société compte plus de 850 salariés répartis dans deux sites de productions normands. Dans l’hexagone, les Back Market, Smaaart, Bak2 et comparses ont déjà créé 5 000 emplois directs, avance le Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms (Sirrmiet).

La redevance en embuscade

Mais la vague va-t-elle se briser et laisser nos surfeurs francophones sur le carreau ? Si le ministre de l’Économie Bruno le Maire a réaffirmé, le 18 mai dernier au micro de FranceTV, qu’il « ne souhaite pas d’augmentation d’impôts » pour soutenir la reprise économique, la question d’éventuelles taxes annexes et déguisées elle, n’est pas tranchée et une pourrait bien impacter directement la filière du reconditionné.

Mardi 25 mai a débuté à l’Assemblée nationale l’examen de la proposition de loi pour réduire l’empreinte environnementale du numérique (PPL). Son article 14 Bis B attrait à la copie privée, une redevance prélevée sur la vente de produits électroniques pouvant servir à copier une œuvre (film, série, livre…) pour en faire un usage privé. Il dispose que la RCP n’est pas due « lorsque les supports d’enregistrement sont issus d’activités de préparation à la réutilisation et au réemploi de produits ayant déjà donné lieu à une telle rémunération. » Il protège en somme, le secteur du reconditionné.

Si le 14 Bis B est soutenu par les industriels du secteur, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili ou encore le secrétaire d’Etat au numérique, Cédric O, il n’est pas du goût de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot et de Copie France, la société chargée de collecter la RCP. Ces derniers regrettent ce qu’ils jugent être une remise en cause partielle de ladite redevance, dont le fruit pourrait venir en soutien à un secteur de la culture éprouvé par la crise sanitaire.

Un jeune secteur menacé

De leur côté, les acteurs du reconditionné se sentent aussi menacés. Le SIRRMIET rappelait dans un communiqué publié en mai dernier que Copie France « tente depuis plusieurs mois de faire appliquer une redevance de 14€ aux téléphones de plus de 64 gigas, ce qui représente près de 90% du marché ». Ce qui aurait pour conséquence d’augmenter de 10% en moyenne le prix des téléphones reconditionnés, et de réduire de plus de 150 millions d’euros le chiffre d’affaires des entreprises françaises de l’économie circulaire. Fragilisant ainsi « tout un secteur économique qui commence à peine à se structurer en menaçant la moitié des emplois directs, en affaiblissant l’attractivité des équipements reconditionnés vis-à-vis du neuf et le pouvoir d’achat des consommateurs », prévenaient déjà en début d’année, le Sirrmiet et la Fédération des acteurs du réemploi (RCube), dans une lettre adressée au Premier ministre Jean Castex.

Le texte rappelant également que le secteur est porté par des filières d’insertion, elles aussi menacées. Citons les entreprises solidaires intégrant des personnes en formation, en insertion ou en situation de handicap telles que les Ateliers du Bocage et Emmaüs. De plus, cet affaiblissement supposé de l’attractivité de la filière française laisserait le champ libre aux plateformes en ligne qui revendent déjà ce type d’appareils reconditionnés en les important de l’étranger, sans appliquer la RCP ni même payer de TVA. Dès lors, ce sont aussi les bienfaits environnementaux qui pourraient s’en trouver compromis.

La proposition de loi et son article 14 Bis B, porté au Sénat par l’élu LR Patrick Chaize et défendu à l’Assemblée nationale par les rapporteurs Bothorel et Thiébaut, ont été adoptés le 28 mai dernier par la Commission du développement durable de l’Assemblée nationale, exonérant de la RCP les acteurs du reconditionné, qui peuvent souffler un peu. Mais le texte n’a pas encore bouclé son marathon législatif. Rendez-vous est pris le 10 juin, pour un débat en séance publique à l’Assemblée nationale lors de laquelle le gouvernement pourrait faire supprimer cet article.

Partager.

Répondre

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Planete Business