Afin de limiter le tabagisme tout en remplissant les caisses de l’Etat, le gouvernement annonce la hausse des taxes sur tous les produits du tabac. Y compris ceux de tabac chauffé. Une politique fiscale plutôt pertinente, dans le contexte de nouvelles révélations sur les méthodes agressives de l’industrie du tabac.
C’est une « excellente nouvelle pour la santé publique ». Alors que la pandémie de Covid-19 n’en finit pas de secouer la planète, l’avis du professeur Yves Martinet ne pouvait passer inaperçu. Le président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) et professeur de pneumologie au CHU de Nancy se félicite de l’annonce gouvernementale d’engager des hausses de taxes sur tous les produits du tabac dans l’objectif d’atteindre une première génération sans tabac d’ici 2030.
« Les hausses de taxes sur les produits du tabac sont l’outil le plus efficace et le plus rentable pour faire diminuer la consommation de tabac », rappelle le spécialiste tout en précisant que, pour être vraiment efficaces, ces hausses « doivent impérativement être significatives » ainsi que « répétées et continues dans le temps ».
La politique fiscale du gouvernement s’applique sur l’ensemble des produits du tabac
La position du Pr Martinet est largement justifiée par les chiffres alarmants sur le tabagisme en France. Plus d’un quart (25,1 %) des jeunes de 17 ans sont des fumeurs quotidiens, et près de 60 % d’entre eux ont déjà expérimenté la cigarette. Environ 200 000 jeunes commencent à fumer en France chaque année, beaucoup d’entre eux expérimentant la première cigarette entre 13 et 14 ans. Conclusion de l’expert : dans notre pays, le tabagisme est une « épidémie pédiatrique ».
Mais la hausse de taxes sur les produits du tabac est également une mesure de bon sens fiscal. Alors que la crise sanitaire a mis l’équilibre budgétaire « à rude épreuve » et que le tabagisme représente « un véritable fardeau économique », la mesure gouvernementale pourrait contribuer à « réduire l’hémorragie fiscale que représente le tabac en France ».
Le Pr Martinet se félicite enfin de ce que la politique fiscale du gouvernement s’applique bientôt « sur l’ensemble des produits du tabac », les fabricants menant depuis plusieurs mois « une forte campagne de lobbying dans l’objectif d’obtenir une fiscalité préférentielle pour le tabac chauffé ».
Comme le rappelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans sa deuxième Feuille d’information sur les produits de tabac chauffés, ces derniers sont en effet bien moins inoffensifs que ne le disent ses promoteurs.
L’impact sanitaire inconnu des nouveaux produits du tabac
Dans son rapport, l’organisation onusienne attire tout particulièrement l’attention sur quelques faits que des recherches récentes ont permis d’établir. Les produits de tabac chauffé sont en réalité de nouveaux produits du tabac. Ils n’aident pas toujours les fumeurs à mettre fin à leur consommation de tabac et dégagent des émissions toxiques pouvant causer le cancer.
Les niveaux de certaines substances toxiques sont plus élevés dans ces produits que dans les cigarettes traditionnelles et il existe de nouvelles substances absentes de la fumée de tabac qui pourraient potentiellement nuire à la santé humaine.
Enfin, l’OMS rappelle que les produits de tabac chauffé contiennent de la nicotine (ils créent donc de la dépendance) et qu’ils ont un impact sanitaire à long terme inconnu.
La mise en garde de l’organisation onusienne est d’autant plus pertinente que le double-jeu de l’industrie du tabac vient d’être mis une nouvelle fois en évidence par l’OCCRP (Organized Crime and Corruption Reporting Project).
Ce groupe international de journalistes indépendants s’est intéressé à l’expansion agressive des géants du tabac à travers le monde. Peu connu, le cas de la China National Tobacco Corporation est particulièrement édifiant.
Contrairement aux « Big Tobacco » (Philip Morris International, British American Tobacco, Imperial Brands et Japan Tobacco), l’ascension rapide du géant chinois est passée largement inaperçue. Aujourd’hui, il détient un quasi-monopole sur le marché chinois et est en passe de doubler ses concurrents dans le reste du monde.
Si les Big Tobacco contrôlaient jusqu’à récemment 80 % des ventes de tabac hors Chine, le géant chinois, soutenu par l’État, représente aujourd’hui 45 % de la production mondiale et pèse plus lourd que ses quatre concurrents réunis.
Lobby puissant et méthodes agressives de l’industrie du tabac
Problème : ses pratiques sont particulièrement agressives, controversées et même illégales, selon les révélations de l’OCCRP. Le conflit d’intérêts entre l’État chinois et l’entreprise ou encore l’organisation d’un vaste trafic de cigarettes dans de nombreux pays ne sont qu’un exemple des révélations de l’enquête.
L’usine de China Tobacco au Panama a été fermée par les autorités après que ses cigarettes se sont retrouvées sur le marché noir. En Italie, une saisie de 17 tonnes de cigarettes illicites a permis de remonter jusqu’à l’usine européenne de China Tobacco, où un cadre travaillait en étroite collaboration avec un groupe de contrebandiers pour les aider à transporter des cigarettes en Europe.
S’il est vrai que la Chine se conforme aux recommandations d’un traité international visant à réduire la superficie des terres consacrées à la culture du tabac, son gigantesque conglomérat d’État transfère sa production à l’étranger. Le Brésil est devenu un fournisseur majeur, les agriculteurs travaillant dans des conditions difficiles pour cultiver le tabac destiné aux cigarettes chinoises. Enfin, en Europe, l’usine de China Tobacco vend des centaines de millions de cigarettes à des entreprises ukrainiennes qui font l’objet d’une enquête pour contrebande de cigarettes…
Ainsi, en taxant davantage les produits du tabac, l’État français protège la santé de ses citoyens tout en affichant une attitude ferme face à une industrie connue pour la puissance de ses lobbies et l’agressivité de ses méthodes. Selon certains experts de santé, c’est aussi le système de traçabilité du tabac qui doit être impérativement indépendant des industriels, ces derniers profitant indirectement des trafics. Le système européen de traçabilité est d’ailleurs en cours de révision, afin d’être davantage en conformité avec le protocole de l’OMS pour éliminer le commerce illicite de tabac.
Sans oublier qu’un système indépendant de traçabilité et un alignement des taxes sur tous les produits du tabac permettraient de renflouer le Trésor public, qui en a bien besoin. D’après les derniers chiffres de l’Insee, la dette publique française s’élevait fin mars à 118,2 % du produit intérieur brut (PIB), soit 2 739 milliards d’euros. Fin 2019, avant la crise du Covid-19, elle s’élevait à 97,6 % du PIB. Pour rappel, le traité de Maastricht, signé en 1992, visait à limiter la dette publique à 60 % du PIB.