Un fossé se creuse entre le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron.
Les tensions géopolitiques, de la crise énergétique européenne aux relations avec la Chine, creusent un fossé entre l’Allemagne et la France, mettant à mal les liens entre des pays qui ont ancré l’économie et la sécurité de l’Union européenne pendant des décennies.
Ce désaccord s’est traduit par la décision de réduire le sommet prévu mercredi entre le chancelier allemand Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron. Les deux dirigeants devaient initialement se rencontrer à Fontainebleau, au sud de Paris, en compagnie des membres de leur cabinet. Cette manifestation habituelle de l’unité franco-allemande a toutefois été brusquement reportée à janvier, ce qui a permis à M. Scholz de se rendre à Paris mercredi pour un déjeuner de travail plus modeste avec M. Macron au palais de l’Élysée.
Un fonctionnaire français a déclaré que les dirigeants ont discuté de l’état général de la relation franco-allemande ainsi que de leurs positions sur l’énergie, la défense et le projet de M. Scholz de se rendre en Chine le mois prochain avec une délégation de chefs d’entreprise.
Le voyage de M. Scholz en Chine est devenu une source de frustration pour les dirigeants européens qui craignent que Pékin ne cherche à dresser l’Allemagne contre ses voisins. La dernière fois que le président chinois Xi Jinping a visité Paris en 2019, M. Macron a invité la chancelière de l’époque, Angela Merkel, et l’ancien président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à se joindre aux discussions, maintenant ainsi un front diplomatique uni.
M. Macron s’est récemment interrogé sur la sagesse de permettre à la Chine d’investir dans des infrastructures essentielles à l’Europe après que la coalition gouvernementale de M. Scholz a accepté d’autoriser le géant chinois du transport maritime Cosco Shipping Holdings Co. à investir dans le plus grand port d’Allemagne, dans la ville de Hambourg (nord).
« Nous avons fait des erreurs stratégiques dans le passé avec la vente d’infrastructures à la Chine », a déclaré M. Macron vendredi après avoir rencontré M. Scholz et d’autres dirigeants européens à Bruxelles.
Les divisions les plus vives sont toutefois apparues à propos de la tentative de l’Allemagne d’amortir son économie face à la décision de la Russie de couper le flux de gaz naturel vers l’Europe. Berlin a récemment débloqué 200 milliards d’euros, soit l’équivalent de 199,4 milliards de dollars, sous forme de subventions supplémentaires pour protéger les consommateurs et les entreprises de la hausse des prix de l’énergie, une mesure qui, selon la France et d’autres pays européens, les désavantage sur le plan de la concurrence.
Emmanuel Macron : « Je ne pense pas qu’il soit bon pour l’Allemagne ou pour l’Europe qu’elle s’isole »
Berlin s’oppose aux propositions de la Commission européenne visant à réduire les factures énergétiques élevées, y compris un outil d’urgence pour plafonner les prix du gaz naturel. La France et plus d’une douzaine d’autres pays ont déclaré qu’ils souhaitaient un plafonnement des prix de gros du gaz afin de protéger les ménages et les entreprises des prix élevés. L’Allemagne et plusieurs autres pays se sont opposés à cette idée, affirmant qu’un plafonnement des prix risquait de détourner les approvisionnements vers d’autres acheteurs et de stimuler la consommation.
« Je ne pense pas qu’il soit bon pour l’Allemagne ou pour l’Europe qu’elle s’isole », a déclaré M. Macron aux journalistes à son arrivée à Bruxelles la semaine dernière pour une réunion avec M. Scholz et d’autres dirigeants européens.
M. Scholz a rétorqué que l’Allemagne agissait par solidarité avec ses partenaires européens. Selon M. Scholz, Berlin pouvait se permettre d’accorder son plan d’aide grâce à sa discipline budgétaire. Ce commentaire a été largement interprété comme une attaque contre la France, dont la dette nationale équivaut à près de 115 % du produit intérieur brut.
Entre-temps, l’Allemagne a été frustrée par l’opposition de la France à une proposition allemande et espagnole de construire un nouveau gazoduc à travers les Pyrénées pour remplacer les approvisionnements russes. De hauts collaborateurs de M. Scholz ont déclaré que la France n’était pas intéressée par le gazoduc parce qu’il ne cadrait pas avec son programme d’expansion de la production d’énergie nucléaire.
Le gouvernement français a déclaré que le projet était trop coûteux et trop long. L’Allemagne et d’autres partenaires envisagent maintenant de construire un gazoduc autour de la France – de l’Espagne à la Belgique via une route maritime – qui pourrait également être relié à la Grande-Bretagne.
Les responsables allemands ont également été irrités par ce qu’ils considèrent comme la réticence de M. Macron à envoyer un soutien militaire substantiel à l’Ukraine et par sa volonté de téléphoner régulièrement à M. Poutine et de faire des commentaires conciliants que les pays d’Europe de l’Est considèrent comme une forme d’apaisement.
Les responsables français disent qu’ils hésitent à rendre public le montant de l’aide militaire et économique que Paris envoie à Kiev à un moment où les manifestants descendent dans la rue pour réclamer des augmentations de salaire.
Les responsables français ont également déploré la décision de Berlin, déclenchée par la confrontation avec la Russie, de créer une alliance de nations européennes et d’acheter des systèmes d’armes américains et israéliens, y compris des défenses aériennes pour se protéger contre une attaque de missiles de Moscou. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie à la fin du mois de février, l’Allemagne a pris la décision historique de réarmer ses forces armées affaiblies et a annoncé l’achat d’avions de combat F-35 fabriqués aux États-Unis et le développement de nouveaux chars de combat. Ces achats ont constitué un revers majeur pour les projets de longue date visant à développer des chasseurs à réaction et des chars d’assaut de nouvelle génération avec la France.