Les autorités chinoises changent de ton et recentrent leur action sur la demande intérieure. Un signal fort envoyé aux marchés, mais encore insuffisant pour raviver durablement la consommation des ménages, toujours freinés par des incertitudes économiques majeures.
Une inflexion dans la stratégie économique
La Chine semble amorcer un tournant dans sa politique économique. Après des années de soutien massif à l’offre, via aides aux entreprises, allègements fiscaux et autres mesures structurelles favorisant la production, Pékin met désormais davantage l’accent sur la consommation intérieure. Ce changement de cap a été perçu comme une tentative claire de rétablir la confiance, à la fois des ménages et des investisseurs, dans une économie fragilisée par la pandémie et des tensions géopolitiques persistantes.
Lors des dernières sessions parlementaires, le gouvernement a réaffirmé son objectif ambitieux de 5 % de croissance pour 2025. Pour y parvenir, il a promis de « stimuler vigoureusement la consommation », un engagement accueilli favorablement par les marchés financiers. Les indices chinois ont profité d’un vent d’optimisme, soutenus notamment par la progression des valeurs technologiques, dans le sillage de l’effet « DeepSeek ». Le retour en grâce de figures emblématiques du secteur privé, à l’image de Jack Ma reçu par Xi Jinping, a renforcé cette impression d’un changement de posture, où la croissance économique redevient centrale dans les priorités de l’État.
Des mesures concrètes… mais limitées
Si le discours évolue, les mesures concrètes commencent tout juste à suivre. Parmi les annonces récentes : un programme de remplacement des équipements domestiques prolongé, avec une enveloppe de 300 milliards de yuans (environ 40 milliards de dollars), une revalorisation du salaire minimum, et un élargissement de la couverture sociale à des professions précaires comme les livreurs et les travailleurs migrants. L’exécutif a également promis des aides à la garde d’enfants, une manière indirecte de répondre à la crise démographique, alors que la natalité est en chute libre et que la population diminue pour la troisième année consécutive.
Pourtant, malgré ces efforts, la consommation peine à redémarrer véritablement. Certes, les ventes au détail ont progressé de 4 % sur un an en janvier et février, un chiffre légèrement supérieur aux attentes. Mais cette embellie a un coût élevé, tant sur le plan budgétaire que monétaire : subventions à la consommation et retour de la déflation, avec des prix en recul de 0,7 % en février sur un an. En d’autres termes, la hausse de la consommation repose davantage sur des artifices économiques que sur une véritable reprise de confiance.
Un immobilier toujours moribond
Autre frein majeur à la reprise de la demande : l’état du secteur immobilier. Longtemps pilier de la croissance chinoise, il reste englué dans la crise. En février, les nouvelles constructions ont de nouveau reculé. Or, pour une grande partie des ménages, la pierre constitue le principal actif patrimonial. La perte de valeur des biens, combinée à l’instabilité des promoteurs privés (dont plus de la moitié ont fait faillite depuis 2021), nourrit une forte aversion au risque.
Face à l’effondrement du secteur, l’État multiplie les interventions. Des entités publiques – entreprises d’État ou collectivités locales – reprennent des projets à l’abandon, rachètent des logements invendus et tentent d’encadrer la chute des prix. Mais ces interventions restent coûteuses et ne suffisent pas à redonner confiance aux ménages, peu enclins à orienter leur épargne vers l’immobilier ou la Bourse, dans un pays où les outils d’investissement restent limités malgré un important réservoir d’épargnants.
Des vents contraires venus de l’étranger
À ces difficultés internes s’ajoute une pression extérieure croissante. Depuis février, les États-Unis ont relevé leurs droits de douane à deux reprises, à hauteur de 10 %, ciblant plusieurs secteurs. La Chine a réagi de façon modérée, en imposant des hausses tarifaires similaires sur certains produits agricoles et énergétiques. Elle tente également de maintenir la stabilité du yuan, au risque de nouveaux reproches de la part de Washington, qui accuse régulièrement Pékin de manipuler sa monnaie.
La menace d’un tour de vis supplémentaire pèse, notamment en cas de retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Celui-ci a déjà brandi l’idée d’imposer 60 % de droits de douane sur l’ensemble des importations en provenance de Chine. Une telle mesure bouleverserait les échanges commerciaux mondiaux et fragiliserait encore davantage les exportateurs chinois, déjà confrontés à une baisse de 3 % des exportations en février. Ce repli est à relativiser, car les entreprises avaient massivement expédié leurs produits fin 2024, en anticipation des sanctions. Mais la tendance pourrait s’aggraver si d’autres pays, dans le sillage des États-Unis, érigent des barrières tarifaires pour protéger leurs marchés.
Le dilemme d’un modèle en transition
Le revirement de discours des autorités chinoises marque la reconnaissance d’un modèle économique en bout de course. Pendant des années, Pékin a misé sur l’investissement massif et les exportations pour alimenter sa croissance. Mais ce schéma a montré ses limites, notamment en ne favorisant pas suffisamment l’émergence d’une classe moyenne dynamique, moteur naturel de la demande intérieure.
Aujourd’hui, la Chine se retrouve à devoir rééquilibrer son modèle, tout en jonglant avec des défis structurels immenses : crise de l’immobilier, déclin démographique, pression extérieure croissante, désendettement des collectivités et rationalisation de milliers de plateformes financières locales ayant servi à financer les infrastructures.
La volonté politique de soutenir la consommation est bien là. Mais la question reste entière : les gouvernements locaux, souvent surendettés et en manque de ressources, auront-ils les moyens de mettre en œuvre cette nouvelle stratégie ? Et surtout, les ménages chinois, profondément ébranlés par la crise sanitaire et ses séquelles économiques, retrouveront-ils suffisamment de sérénité pour relancer la machine par leurs achats ?
La confiance, elle, ne se décrète pas. Elle se gagne. Et pour cela, Pékin devra sans doute aller bien au-delà des effets d’annonce.